A Ouagadougou comme dans d’autres villes du Burkina, il n’est pas rare de voir des fruits d’origine étrangère sur les étals de vendeuses de fruits. Parmi ces fruits, il y en a un qui n’est pas importé, mais que beaucoup de Burkinabè ignorent : la fraise. Ce fruit, dont la carte d’identité dit qu’elle est originaire d’Amérique, d’Asie et d’Europe, est pourtant produit ici au Burkina. Suivons ses traces.
Boulmiougou, sortie Ouest de Ouagadougou. Sur le bas-côté de la RN1, un bas-fond verdoyant s’étend à perte de vue à gauche. C’est en effet le périmètre aménagé du barrage de Boulmiougou. Avec l’arrêt des pluies depuis octobre, l’eau s’est retirée progressivement de son lit, laissant ses berges au profit des maraîchers.
Ici, divers types de légumes sont produits mais c’est surtout là, que sort de terre le fraisier, cette petite plante de la famille des “rosaceae” (rosacées), au fruit rouge vif d’une saveur sucrée. Si à une certaine époque, ce fruit était importé au même titre que les pommes et autres raisins, depuis environ une quarantaine d’années, les Burkinabè l’ont introduit ici sur place et l’expérience a plutôt été une réussite.
En ce début du mois d’avril 2019, il est 10h lorsque nous arrivions sur les lieux. Déjà à cette heure de la journée, le soleil est déjà bien haut et le thermomètre affiche 35°c. Les vrombissements des motopompes font croire à une usine industrielle à ciel ouvert. Ces bruits de motopompes font partie du quotidien des exploitants du bas-fonds et mieux, ils sont comme un stimulant pour ces producteurs. En dépit de la chaleur accablante, les producteurs sont à pied d’œuvre et certains même le torse nu
En cette période de l’année, l’eau du barrage ne suffit plus et les canaux de drainage faits par les producteurs eux-mêmes ne drainent presque plus grand-chose. Pour pallier le déficit de l’eau, des puits sont creusés et l’eau est remontée grâce aux motopompes.
« En effet, explique un producteur, le fraisier n’aime pas trop d’eau. C’est la raison pour laquelle il ne donne pas en saison pluvieuse. Cependant, il ne tolère pas non plus un déficit d’eau. C’est pourquoi en ce début de mois d’avril, les plages qui étaient réservées à la production de la fraise sont progressivement remplacées par d’autres cultures comme la salade ».
Pour obtenir un meilleur rendement et des fraises bios de très bonne qualité, les producteurs de Boulmiougou misent sur le fumier et le compost en lieu et place des engrais chimiques. La culture de la fraise est très délicate et requiert un savoir-faire de la part des producteurs.
« Pour avoir un bon rendement, le producteur doit être très attentif et observer l’évolution des plants. Il doit savoir à quelle période il faut biner ou mettre le fumier », explique Boukaré Zongo, un exploitant d’environ un demi-hectare. « En plus, poursuit-il, pour éviter que le fruit ne soit en contact avec le fumier ou le sol (ce qui peut affecter sa qualité), les pieds des fraisiers sont entourés de pailles. Cette technique à l’avantage de garder la fraise assez propre, mais aussi de maintenir l’humidité du sol ».
Sur ce site, l’un des rares où on produit des fraises au Burkina, travaillent plus de 1000 producteurs qui produisent plus de 1000 tonnes de fraises chaque campagne. Considérée comme culture de contre-saison, c’est à partir du mois d’octobre que commence le repiquage des jeunes pousses et les premières récoltes sont attendues entre fin décembre et début janvier.
Bien entretenu, le fraisier est une plante très généreuse. « La cueillette se fait chaque trois jours. Et à chaque cueillette, même le producteur le plus modeste peut récolter au moins entre 50 et 70 kg de fraises par jour », confie Noufou Ouédraogo.
Ce jeune producteur de 31 ans, qui a commencé la production des fraises il y a environ une dizaine d’années, s’interdit de faire la fine bouche. « C’est à travers la production des fraises que je subviens à mes besoins et m’occupe de ma famille. Le seul hic est que nous les producteurs, nous ne sommes pas maîtres du prix de la fraise. Mais qu’à cela ne tienne, on s’en sort plutôt bien », avoue-t-il.
De l’avis de Sylvain Kaboré, un exploitant de plusieurs hectares et par ailleurs vice-président de la coopérative des producteurs de légumes de Boulmiougou, la fraise burkinabè s’exporte bien. « Des échantillons de nos fraises ont été analysés au laboratoire en Europe et la seule chose qu’on nous a reprochée, c’est d’avoir cueilli les fraises sans gants. Ce qui fait que les traces des empreintes digitales des producteurs restent visibles. Hormis cela, à l’extérieur, les gens apprécient très bien son goût ».
Cependant, si la fraise burkinabè jouit d’une bonne réputation à l’extérieur, elle n’est pas encore très bien connue des Burkinabè. Perçue comme « un fruit des Blancs », elle ne fait pas partie des habitudes alimentaires de beaucoup de Burkinabè, même si dans les milieux urbains, on se familiarise peu à peu avec.
Un constat que regrette le vice-président de la coopérative des producteurs de légumes de Boulmiougou. « L’une de nos difficultés et pas la moindre est qu’on ne nous aide pas à faire connaitre même la fraise au Burkina ici. Des gens les voient dans les étals chez les vendeuses de fruits, mais ils n’imaginent pas que ce sont des fruits produits par leurs frères burkinabè ».
A ce paradoxe, s’ajoutent d’autres difficultés parmi lesquelles la mauvaise organisation des producteurs malgré l’existence de la coopérative des producteurs de légumes de Boulmiougou, une structure censée défendre les intérêts des producteurs.
Cette situation profite aux acheteurs qui imposent leurs prix aux producteurs. Établi à 3000 FCFA /kg en début de campagne, le prix de la fraise chute progressivement pour ne coûter en fin de campagne que 750 ou 1000 FCFA /Kg.
« Pourtant, si on était bien soudé autour de la coopérative, on aurait pu constituer une force et participer à la fixation des prix. Ce qui aurait pu être à notre avantage », s’en veut le vice-président de la coopérative des producteurs de légumes de Boulmiougou, Sylvain Kaboré.
Selon lui, le salut des producteurs viendra lorsqu’ils obtiendront des contrats avec des hommes ou femmes d’affaires pour l’écoulement de la fraise. « Si un jour nous avons des opérateurs économiques qui acceptent de signer un contrat avec nous pour écouler nos fraises, ce sera l’idéal. Nous sommes capables de produire le double de ce que nous produisons actuellement et même plus pour satisfaire la demande », rassure Sylvain Kaboré.
Comme autres difficultés rencontrées par les producteurs de fraises de Boulmiougou, il y a le manque d’eau. Le niveau d’ensablement du barrage est très avancé et généralement dès le mois de mars, l’eau commence à se faire rare. Et comme alternative, les producteurs se tournent vers leurs puits, lesquels ne peuvent leur fournir l’eau en grande quantité.
D’où le cri de cœur du vice président des producteurs de légumes de Boulmiougou : « Nous savons que c’est peut-être coûteux, mais si le gouvernement pouvait désensabler le barrage, ça allait nous faire du bien ». L’absence d’une chambre froide pour stocker les fraises et les difficultés d’accès aux financements constituent d’autres cris de cœur des producteurs de fraises de Boulmiougou.